À propos du livre
« Article 230: Une histoire de la criminalisation de l'homosexualité en Tunisie » retrace l'histoire de la loi tunisienne sur la sodomie/l’homosexualité, depuis son apparition dans un premier projet de code pénal de 1913 sous le protectorat français jusqu'à son application contemporaine dans la Tunisie postrévolutionnaire . Basé sur des recherches archivistiques, des dizaines d'entretiens avec des historien(ne)s, des avocat(e)s, des journalistes, des diplomates, et des activistes LGBTQ tunisien(ne)s, ainsi qu’une analyse juridique de l'article 230 dans le contexte de la Constitution tunisienne et du droit international des droits de l’Homme, le rapport démontre les origines coloniales de cet article et ses effets dévastateurs sur la communauté LGBTQ tunisienne aujourd’hui. Il évoque également l’émergence d’un mouvement LGBTQ en Tunisie, et met en lumière ses combats importants contre l’article 230 et pour une Tunisie libre, égalitaire et démocratique. Le rapport essaie de répondre à un certain nombre des questions : Pourquoi les rédacteurs du Code Pénal Tunisien de 1913 ont inclus la loi contre la sodomie ? Comment ont-ils décidé que la punition appropriée était de trois ans de prison, vu que cette sentence n’a pas d’origines claires dans la loi française, la loi tunisienne, ou la shari’a ? Est-ce que l’Article 230 doit être lu exclusivement comme un produit du colonialisme, ou prendrait-il racine dans certaines conceptions —potentiellement erronées— des exigences de la shari’a ou de la tradition tunisienne ? Comment l’article 230 est appliqué aujourd’hui, dans la Tunisie postrévolutionnaire ? Et quelles stratégies adoptent les personnes LGBTQ en Tunisie pour arriver à l’abrogation de l’article ?
Citations
J’avais compris que dans mon pays, j’étais considéré comme un criminel en liberté conditionnelle.
Aziz, infirmier et activiste LGBTQ tunisienPeu de gens diront que 2019 marquera l'année où la Tunisie décriminalisera enfin l'homosexualité, se débarrassant d'un héritage colonial brutal qui continue de détruire la vie des Tunisiens LGBTQ plus d'un siècle après sa première apparition en 1913. Mais depuis les premières protestations qui ont déclenché le printemps arabe en 2011, jusqu'à la promulgation de la constitution la plus progressiste de la région MENA, en passant par la naissance d'un mouvement LGBTQ dynamique et de plus en plus efficace, la Tunisie n'a cessé de défier les attentes du monde. En 2011, les Tunisiens ont renversé une dictature, amorçant une transition complexe et difficile vers la démocratie. Si la Tunisie veut tenir les promesses audacieuses de la Révolution de 2011, l'article 230 doit disparaître.
Si un procès de contestation de la légalité de l’article 230 doit attendre, l’anticonstitutionnalité de l'article sur la sodomie et son incompatibilité avec les obligations internationales de la Tunisie sont indiscutables. Criminaliser des personnes exclusivement sur la base de leur orientation sexuelle viole le principe d’égalité devant la loi, alors que le processus d’enquête et de recherche de preuves des violations de l’article 230 implique souvent la torture - sous la forme d’examens anaux - et des infractions au droit des individus à la vie privée. Par ailleurs, le texte de l’article 230 est trop vague et confère à la police et aux juges le pouvoir de définir le droit plutôt que de le faire respecter
Malgré les progrès importants accomplis par la Révolution tunisienne, les arrestations et les poursuites pour violations de la loi sur la sodomie se poursuivent sans relâche. L'obtention de statistiques précises sur les cas relevant de l'article 230 reste un dé . Mais les avocats, les journalistes et les militants LGBTQ tunisiens font constamment référence à une hausse des arrestations au titre de l'article 230 après 2011, une tendance qui coïncide avec le développement rapide du mouvement LGBTQ tunisien. Compte tenu de la formulation ambiguë de la loi et des contradictions entre les versions française et arabe, la police, les procureurs et les juges ont une grande marge de manœuvre pour déterminer qui est arrêté et emprisonné pour des violations présumées de l’article 230.
À une époque où les autorités françaises craignaient les effets de la " Chaleur africaine sur la libido sexuelle des hommes et des femmes" et " la sexualité aberrante et exubérante " des Nord-Africains, il n’est pas improbable que les autorités coloniales aient cherché à criminaliser l’homosexualité en Afrique du Nord, même si elle était décriminalisée de jure dans la France métropolitaine.
L’absence de référence explicite à l’homosexualité dans la loi criminelle tunisienne avant le Protectorat Français, ajouté au fait que le Code Pénal Tunisien reflète largement le Code Pénal Français, donne à croire que l’Article 230 est un pur produit de la colonisation, un reliquat de la loi française avec peu de rapport avec la Tunisie elle-même. Mais, il y a une imprécision potentielle dans cette hypothèse — le Code Pénal Français de 1810 ne mentionne pas la "sodomie " ou “l’homosexualité.” De plus, la France a abrogé les lois contre la sodomie après la Révolution Française en 1791, quatre-vingt dix ans avant la colonisation de la Tunisie.